“…On avait l'impression trop nette que la guerre, la haine, comme le travail, la faim, la souffrance, c'est surtout fait pour les humbles, le peuple…”

Maxence Van der Meersch, Invasion 14

L’organisation allemande

L’armée allemande s’organise dès son arrivée dans une ville à l’arrière du front. Une kommandatur s’installe dans l’hôtel de ville, les blessés sont répartis dans des lazarets, des bâtiments très divers sont réquisitionnés pour loger la troupe. Cette ville devient une étape pour les régiments qui partent ou qui reviennent du front, et tout est prévu pour entretenir le moral des troupes.


kommandantur

Le major Gesleer Hofmann, officier des Uhlans s'installe à l'hôtel de ville de Roubaix rebaptisé kommandantur, le dimanche 18 octobre 1914 à 11 h 00. Il découvre une ville populeuse, patriote, démonstrative, voire insoumise, et va s'employer à la transformer en ville étape, c'est à dire en ville garnison et à l'exploiter au maximum pour le service des armées allemandes, jusqu'au pillage et à la destruction. Les diables verts de la gendarmerie constitueront son arme de répression la plus efficace.


lazarets

Les blessés français sont déménagés à Lille, car il faut de la place pour les blessés allemands, et l'occupant exige l'évacuation des vieillards de l'hospice Barbieux. Les infirmières de la Croix Rouge seront bientôt remplacées par des infirmières allemandes. Après les hôpitaux et les hospices, les écoles seront à leur tour fermées pour servir de lazarets, sinon de mouroirs.


loger la troupe

Pour les zones occupées, l’armée allemande se compose des régiments de passage, allant ou revenant du front, et d’une garnison en place par ville étape. Les Uhlans s’installent dans les églises, les écoles, les usines. Les états-majors ont droit à des maisons de maître. Puis les Allemands organisent leur séjour : salles de lecture et salles de jeux avec billard, restaurants. Des milliers de maisons sont ensuite réquisitionnées pour loger les soldats.


moral des troupes

Les sentiments de fatigue et de lassitude alternent avec la peur et l'angoisse de retourner au front. Des soldats allemands désertent avec l’aide de la population française. En avril 1917, des Bavarois cantonnés sur Lys déposent les armes et refusent de marcher. Plusieurs témoignages de “ logeurs forcés” se recoupent pour indiquer clairement qu'il n'y avait pas, chez ces soldats, que la morgue des officiers ou la bestialité de l'homme de troupe, mais aussi la peur de déranger, d'habiter ainsi chez des gens où l’on vivait avec moins que le strict minimum.




Les nouvelles interdites

La censure allemande se met rapidement en place. La correspondance est surveillée, les journaux cessent de paraître, et l’occupant qui désinforme et surveille leur substitue des feuilles de propagande. La résistance s’organise : les passeurs traversent les frontières et ramènent des nouvelles, une radio clandestine capte la France libre.


correspondance

Les communications avec le territoire ennemi sont passibles d'emprisonnement, ou pire s’il est question d’espionnage. Les parents des prisonniers reçoivent des nouvelles des camps et il y a des cartes spéciales pour écrire aux prisonniers, déportés, évacués. Il est bien sûr interdit de donner des indications sur la guerre. Lutter contre l'espionnage est une lubie de l'occupant alors on intercepte, on lit les lettres et on arrête les porteurs. Du courrier arrive quand même, mais sinistre : une lettre de la kommandantur pour le travail forcé. Se dispenser de la lire peut être très…


radio clandestine

C'est à peine quinze jours après l'entrée des Allemands à Roubaix, alors que l'on est sans nouvelle de l'évolution de la guerre, que l'abbé Pinte, professeur à l'Institut Roubaisien, capte un communiqué de la Tour Eiffel à l'aide d'un petit appareil de radio-télégraphie. Il recopie immédiatement les nouvelles pour le préfet, l'évêque, le sénateur. Avec l’industriel Firmin Dubar et le pharmacien Willot, ils fonderont le journal l’Oiseau de France.


journaux

Le 15 Octobre 1914 est le dernier jour de parution du Journal de Roubaix. Enthousiasmé par les premières nouvelles obtenues par l’abbé Pinte, l'industriel Firmin Dubar a l'idée de fonder un vrai journal. Le 1er janvier 1915 paraît le premier numéro du Journal des occupés… inoccupés. Un deuxième numéro paraît le 13 janvier puis un troisième le 24 janvier. En février 1915, Lille profite également de ces nouvelles : là bas le journal s'appellera la Patience. En décembre 1916, c’est la parution du Bulletin de Roubaix destiné à donner les communiqués de l’occupant.


passer, passeurs, passeuses

Quand le danger est trop grand, certains mobilisables décident de quitter Roubaix et d'avoir recours à des passeurs pour la Hollande. Son premier voyage, Léonie Vanhoutte le fera pour son frère, un évacué mobilisable. Lors d'un nouveau voyage, elle recueille des informations sur les mouvements de troupes et les emplacements des batteries ennemies. Léonie et son amie Louise de Bettignies, œuvrent dans un réseau financé par les Anglais. Dès lors, ce ne sont qu'allers et retours en Hollande, à travers la Belgique, passages de personnes,
Collectes de renseignements, transferts de correspondances.




Les sévices à la population

L’occupation allemande devient bientôt une exploitation en règle de la population : le tribunal de guerre enchaîne les arrestations et les condamnations, les prisons ne désemplissent pas. Aux prises d’otages succèdent les évacuations, puis les déportations. Les revues d’appel maintiennent la population dans un état de terreur. Des rafles sont organisées dans les quartiers et les travailleurs forcés, porteurs de brassards rouges, partent sur les chantiers de guerre.


arrestations et condamnations

Les arrestations n’épargnent personne : du simple ouvrier au chef d’entreprise, de l’homme politique à l’ecclésiastique, les hommes, les femmes et les enfants… La deuxième étape est la prison, mais cela peut aller plus loin : condamnation, déportation, exécution… Faire régner l’ordre, mais également maintenir la population dans un état de terreur, tels sont les objectifs de l’appareil judiciaire allemand constitué par les fameux gendarmes verts, les prisons et le tribunal de guerre. Le moindre prétexte suffit à entraîner une condamnation de 15 jours à 10 ans de prison.


prisons, prisonniers

Les lieux les plus divers servent de prison. Les cinémas accueillent les premiers prisonniers de guerre : français, anglais et belges. La population va connaître d’autres lieux : la prison centrale se situait aux Bains Roubaisiens de la rue Pierre Motte. Deux autres prisons se trouvaient rue de l'Hospice, au n°15, dans les locaux d’un négociant en tissus, et rue de la fosse aux chênes dans les établissements Vernier, où l'on enfermait plutôt les femmes. Signalons également la salle des fêtes de la rue de l’Hospice qui fut convertie en maison cellulaire pour civils et militaires.


otages et déportations

Préparer la soupe pour le régiment, enlever le drapeau français et constituer une liste d’otages qui seront libérés contre une rançon, figurent parmi les premières exigences allemandes. Les premiers à être rassemblés sont le Maire, les conseillers municipaux, des industriels et des prêtres. Mis à l’isolement, généralement enfermés dans une salle de l'hôtel de ville, les otages sont rapidement promis à la déportation. Des trains partent vers l’Allemagne ou la Pologne, dans des camps, où les prisonniers resteront pendant plusieurs mois dans des conditions très dures.


évacuations (les mobilisés)

Octobre 1914 : une affiche officielle est apposée à l'entrée de chaque poste de police où les mobilisés évacuables doivent retirer un laissez-passer avant de prendre la route pour Gravelines. Sur l'affiche, on entend par homme mobilisable tous les hommes valides faisant partie des classes 1887 à 1915 y compris les réformés, exemptés, ajournés et services auxiliaires. Toute personne atteinte d'une infirmité telle que l’amputation d’un pouce, d'une main, d'un pied ou d'un membre ne partira pas. Il en va de même pour les bossus, les aveugles, les boiteux et les aliénés.


évacuations (déplacements de population)

Les allemands affirment que l'embargo anglais touche les populations des villes occupées. Ils évacuent des milliers de personnes par train; il s'agit d'hommes incapables de travailler, de femmes sans travail et sans ressource, de malheureux de toutes sortes, de malades, de personnes indigentes… Les villes du Nord reçoivent encore des évacués des autres communes de la France occupée. Tout se passe un peu comme si on faisait de la place, en éloignant les populations du front pour couvrir l'arrière garde casernée.


revues d’appel

Au moment de l’appel, on est prié de répondre présent et de s'avancer avec une pièce d'identité pour vérification. Des photographies collectives sont organisées. Les revues d'appel deviennent régulières. Pour lutter contre l’absentéisme, les Allemands n'autorisent aucune exception ; les malades peuvent présenter un certificat médical le lendemain à la Kommandantur. Ces rassemblements de population sont de plus en plus l'occasion de réquisitionner des travailleurs inoccupés. Les dernières revues servirent à désigner des otages et à évacuer les populations vers la Belgique en septembre 1918.


rafles

Les Allemands demandent d’abord des hommes pour des travaux vicinaux : il s'agit en fait de creuser des tranchées. Il y a peu d’amateurs et l’armée procède alors à des rafles dans tous les quartiers de la ville. Plus tard, estimant qu’il y a beaucoup de jeunes gens sans travail et qu’il s’agit là d’une lourde charge pour les villes, les Allemands décident de les envoyer dans une autre partie de la France occupée, à la campagne, où il manque beaucoup d'ouvriers agricoles.


brassards rouges

Les trains emportent vers les Ardennes, ou près de la ligne de front, ces travailleurs forcés qu'on appellera désormais les brassards rouges, du nom du morceau de tissu qui les distinguait des prisonniers de guerre et qu'ils portaient au bras... Avec le temps, la différence était-elle encore apparente?




survivre

La vie quotidienne des régions occupées pâtit de la guerre. Les denrées alimentaires se raréfient, leur prix augmente. Un service de ravitaillement de la population est mis en place, et c’est aussi le temps des fonceurs qui vont chercher au-delà de la frontière de quoi subsister. Les hivers sont très rigoureux, les moyens de chauffage manquent, la progression des maladies est telle que la Croix Rouge est autorisée à intervenir.


ravitaillement

Pendant que les Allemands réquisitionnent jusqu'au dernier grain, les farines américaines arrivent en mai 1915. En mars 1916, elles ne sont pas livrées à temps et le pain est alors fabriqué avec la farine allemande achetée par le comité de ravitaillement : la mie ressemble à du mastic. La qualité et la quantité du pain varient avec les arrivages de farine. Le pain du ravitaillement est gris et gluant, résultat du mélange du froment américain et du seigle allemand : on parle de pain KK.


foncer, fonceur, fonceuse…

Ce qui était avant la guerre l'apanage des fraudeurs est devenu pratique courante pour les gens affamés. C'est l'époque des fonceurs . En octobre 1915, ce sont des centaines de kilos de pommes de terre qui passent la frontière à dos d'homme, malgré la surveillance des soldats, et les coups de feu des sentinelles allemandes. Les amendes et la prison ne sont pas assez dissuasives, la frontière continue d'être franchie malgré les interdictions. II y a des blessés et même des tués, car la faim est la plus forte et fait prendre des risques.


croix-rouge

La Croix-Rouge crée la cuisine pour tous : des réchauds à gaz sont installés dans des usines où on peut cuire les aliments et manger au chaud. La Croix-Rouge lance une autre initiative: la fabrication d'un combustible à base de déchets industriels, comme les suies de cheminée, les suints, les cartons, les papiers, les déchets de coton et de laine, qui sont transformés en briquettes agglomérées, dont plusieurs millions seront distribuées. Pour répondre aux problèmes d’infections, un lavatorium est installé au dispensaire de la Croix-Rouge.




les dommages de guerre

L’armée allemande a d’abord procédé à des réquisitions, puis s’est livrée au pillage systématique des maisons et des usines. La présence d’une gare, d’un canal ou d’importantes structures industrielles font d’une ville occupée une cible potentielle pour les bombardements. Le dynamitage systématique de toutes les voies de communication lors de la retraite allemande accentue encore la destruction des villes occupées.


requisitions

Un inventaire des matières est demandé à tous les industriels. Les Allemands s’emparent des automobiles, motos, bicyclettes, du caoutchouc, des huiles et graisses, de la laine, du coton, des fils et étoffes tissées, des cuirs, des métaux, des fils électriques et du platine brut. Puis la razzia s'accentue : l'armée elle-même vient saisir les tôles, le fer blanc, les outils, les casseroles, les enclumes... Tout ce qui peut se transformer en sacs de tranchée, en balles de fusil ou en obus est systématiquement inventorié et saisi.


pillage

Une commission spéciale s’occupe de l'enlèvement du matériel des usines, auquel procèdent des prisonniers russes, et de la destruction systématique de tout ce qui peut permettre la reprise de l'activité et le redressement industriel des régions ruinées. Des perquisitions sont faites par les perceurs de muraille, cambrioleurs professionnels, sous la garde de la police militaire. Les murs des usines sont martelés du plafond au plancher : si un son creux laisse supposer une cachette, la vrille précède les pioches et les marchandises sont ainsi exhumées.


bombardements et destructions

Les passages d'aéroplanes déchaînent l'enfer de la canonnade allemande et à chaque alerte, une pluie d'obus (les shrapnels), s'abat sur les quartiers. En octobre 1918, les Allemands ont miné les passerelles, les ponts et les écluses sautent tour à tour. La gare est en ruines et les voies de chemin de fer sont pulvérisées. Partout les dégâts sont considérables, les maisons dans le proche alentour n'ont plus de vitres, leurs portes et fenêtres sont arrachées, les toitures éventrées. Les écluses sont détruites et le canal s'est vidé de son eau. Ultime explosion, à l’aube : l'usine à gaz.